Succès dans l’affaire du peuple Ogoni – Nigéria : mise en cause du devoir de diligence d’une multinationale néerlandaise

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L’affaire date de 2008, lorsqu’une plainte a été déposée contre Shell pour défaut de protection et d’entretien des oléoducs sur le territoire du peuple Ogoni, ce qui a eu pour conséquence une destruction de l’environnement local.

Les carences du système judiciaire nigérian ont conduit les plaignants à se tourner vers des tribunaux étrangers afin de faire condamner les multinationales pétrolières et les rendre responsables des dégâts environnementaux engendrés au Nigéria. Ils se sont donc tournés vers les tribunaux néerlandais, pays d’origine du groupe Royal Dutch Shell, société-mère ayant sa filiale nigériane Shell SPDC.

La plupart des affaires du peuple Ogoni sont toujours pendantes, mais les victimes connaissent des succès, notamment dans le cadre de la procédure judiciaire devant les juridictions néerlandaises. Le litige avait été engagé par quatre pêcheurs et agriculteurs soutenus par une ONG néerlandaise nommée Milieudefensie qui demandaient réparation par la société mère Royal Dutch Shell pour un dommage environnemental causé par des déversements d’hydrocarbures dus à un trou dans un pipeline.

En Janvier 2013, pour la première fois un tribunal néerlandais[1] a tenu une entreprise néerlandaise responsable des dommages environnementaux causés à l’étranger : le juge s’est partiellement prononcé en faveur des plaignants nigérians. Sur le fond, le juge néerlandais a estimé que la filiale SPDC est responsable des deux déversements d’hydrocarbures près du village d’Ikot Ada Udo. Le tribunal de district a jugé que Shell Nigeria, conformément à la loi nigériane applicable, avait violé le devoir de diligence et devait être tenu pour responsable du délit de négligence. Le « sabotage » a été commis par Shell Nigéria en 2006 et 2007 par l’ouverture  des vannes de surface d’un puit de pétrole abandonné, avec une clé à molette. Selon le juge, Shell Nigeria aurait pu et aurait dû empêcher ce sabotage en installant un bouchon en béton avant 2006, ce qui n’a été  fait qu’en 2010. Dès lors, le tribunal de district a condamné la filiale nigériane du groupe Shell à verser des dommages-intérêts au plaignant nigérian, M. Akpan. Le montant de ces dommages-intérêts serait déterminé dans le cadre d’une procédure dite d’évaluation des dommages-intérêts. En décembre 2015, le tribunal de La Haye[2] a, en appel, confirmé le jugement du tribunal de district concernant la compétence. En application du règlement Bruxelles I (44/2001), la Cour a confirmé sa compétence à l’égard de l’action intentée contre Royal Dutch Shell.

Par la suite, des auditions ont eu lieu en octobre 2020, et une décision a été rendue vendredi 29 janvier 2021 par la Cour d’appel de La Haye. Dans cette décision, le tribunal néerlandais a reconnu l’existence d’une charge de la preuve pour toute personne invoquant un sabotage (para. 2.17.1) dans des affaires en lien avec le délit de négligence en vertu de la loi nigériane (para. 4.7). Le tribunal a conclu que la multinationale Shell n’a pas fourni de preuves suffisantes pour répondre à sa réclamation, et que celle-ci aurait dû disposer d’un meilleur système de détection des fuites afin d’arrêter plus rapidement ces fuites d’hydrocarbures. Le tribunal a laissé la décision sur l’indemnisation à une date ultérieure. Cette décision en date de janvier 2021 devrait faire l’objet d’un pourvoi en cassation devant la Cour suprême néerlandaise.

Notons que les tribunaux nigérians sont naturellement les juridictions pertinentes pour entendre les réclamations liées à la pollution subie dans le territoire du peuple Ogoni, puisque ces dommages environnementaux sont survenus au Nigeria. Néanmoins, les différentes procédures engagées devant les tribunaux nigérians n’ont pas permis, pour l’instant, de régler l’affaire. En 2001, la Commission africaine était d’avis qu’« aucun recours interne [n’existait] »[3]. Mais, certaines réclamations ont abouti, notamment celle intentée par la communauté d’Ejama-Ebubu pour une pollution par les hydrocarbures survenue en 1970. Un jugement rendu en 2010 a condamné Shell à payer 516 millions de dollars en réparation des dommages causés. En 2020, la Cour suprême nigériane a confirmé ce jugement, mais il doit encore être exécuté. Enfin, la capacité des tribunaux nigérians à régler effectivement de telles affaires reste discutable. Le système judiciaire nigérian s’est amélioré, mais certaines questions concernant la qualité des procédures judiciaires au Nigéria et l’exécution des jugements rendus par les tribunaux nigérians sont toujours critiquées.

Par Chancia IVALA PLAINE | Juriste en droit de l’environnement

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[1] District Court of The Hague, Akpan v. Royal Dutch Shell Plc et al., C/09/337050 / HA ZA 09-1580, judgment, 30 January 2013.

[2] Court of Appeal of The Hague, Eric Barizaa Dooh of Goi and others v. Royal Dutch Shell Plc and Others, 200.126.843 (case c) + 200.126.848 (case d), 18th December 2015.

[3] 155/96 : Social and Economic Rights Action Center (SERAC) and Center for Economic and Social Rights (CESR) / Nigeria.